C’est historique, et c’est surtout une première belle victoire en cette rentrée parlementaire incertaine: la proposition de loi des sénateurs Samantha Cazebonne et Arnaud Bazin pour interdire la corrida et les combats de coqs aux mineurs de moins de 16 ans a été mise à l’ordre du jour au Sénat. Elle sera débattue le jeudi 14 novembre prochain.
Nous sommes ravis de voir ce combat avancer, d’autant plus que c’est l’un des premiers sujets sur lesquels CAP a commencé à mobiliser les parlementaires il y a 7 ans. Au fil des années, nous avons porté cette demande pour le COLBAC, la FLAC, La Fondation Droit Animal, Ethique et Sciences (LFDA), Education Ethique Animale, la SNDA, l’Alliance Anticorrida, CRAC Europe et No Corrida. Revenons plus en détail sur les différentes étapes de cette mise à l’ordre du jour.
Le résultat d'un long cheminement politique
Dès 2017, CAP s’est positionnée conjointement sur deux sujets liés à la corrida : son abolition et l’interdiction appliquée aux mineurs. Le 16 mars 2018, une première proposition de loi en collaboration avec le député La France Insoumise Michel Larive sur l’interdiction aux mineurs est déposée à l’Assemblée nationale. Cependant, elle n’a malheureusement pas reçu le soutien politique suffisant pour être inscrite à l’ordre du jour.
Lors d’un premier rendez-vous politique avec l’ancienne députée LREM Samantha Cazebonne en novembre 2017, cette dernière avait démontré un vif intérêt pour le sujet et souhaitait porter ce combat au sein de l’hémicycle. Après un travail commun de rédaction de la proposition de loi, celle-ci fut déposée en 2019, dans le sillage d’un colloque organisé par l’élue à l’Assemblée nationale.
CAP a ensuite travaillé afin d’obtenir le soutien du groupe La République En Marche (LREM) qui détenait une majorité absolue à l’Assemblée nationale durant la mandature 2017-2022. Plusieurs personnalités politiques ont d’ailleurs permis de décrocher ce soutien de la présidence du groupe LREM, comme la députée Aurore Bergé ou le secrétaire d’État à l’Enfance de l’époque, Adrien Taquet. Ce dernier a alors proposé d’inclure cette mesure au sein d’un projet de loi plus global sur la protection des mineurs prévu au printemps 2020 mais la crise sanitaire est venue bousculer cette mise à l’ordre du jour. Parallèlement, en octobre 2020, une opportunité politique s’est présentée avec l’examen d’une proposition de loi contre la maltraitance animale présentée par l’ancien député Cédric Villani. Samantha Cazebonne a alors défendu le sujet sous la forme d’un amendement. Ce dernier a malheureusement été jugé irrecevable car il ne visait pas directement la condition animale mais plutôt la protection de l’enfance. Samantha Cazebonne a ensuite été élue sénatrice, en septembre 2020.
En novembre 2022, le député Aymeric Caron, du parti la Révolution Écologique pour le Vivant (REV), a réussi à inscrire à l’ordre du jour une proposition de loi visant à abolir la corrida dans le cadre de la niche parlementaire de la France insoumise. Cette proposition de loi, inscrite en première position dans l’ordre d’examen, a dû être retirée devant l’obstruction massive de quelques parlementaires afin que les autres propositions de la niche puissent être étudiées. Malgré un nouvel échec, cette proposition de loi a permis de visibiliser le sujet politiquement et médiatiquement.
Le 10 janvier 2023, le sénateur Les Républicains Arnaud Bazin a déposé une nouvelle proposition de loi visant aussi la protection des mineurs. Ce fut également le cas de la sénatrice écologiste Raymonde Poncet-Monge. En mars 2024, Arnaud Bazin et Samantha Cazebonne font le choix de fusionner leurs propositions de loi respectives pour avoir plus de poids politique et Raymonde Poncet-Monge en devient cosignataire. Le 3 octobre dernier, elle a finalement été inscrite à l’ordre du jour du Sénat lors de la niche parlementaire RDPI du 14 novembre 2024 ! Elle est d’ailleurs cosignée par des sénateurs de tous bords politiques. Nous saluons la détermination de la sénatrice Samantha Cazebonne qui a tenu bon sur ce combat durant des années et a finalement réussi à convaincre son groupe parlementaire.
Que contient la proposition de loi ?
Plusieurs arguments en faveur du bien-être animal et de la protection de l’enfance sont avancés au sein de cette proposition de loi. Tout d’abord, l’incohérence de la loi sur le sujet est soulevée. En effet, depuis 1850, la maltraitance animale est condamnée en France par la célèbre loi Grammont. Par ailleurs, L’article 521-1 du Code pénal qualifie d’acte de cruauté la pratique de la corrida et majore les peines lorsque des actes sont commis en présence d’un mineur. L’exception de la corrida dans la loi est une contradiction évidente entre d’un côté la condamnation générale de la société envers toute violence gratuite à l’encontre des animaux et de l’autre l’acceptation de cette dernière au nom de la tradition. Cela fragilise grandement le sens moral des enfants en provoquant une confusion des valeurs (le bien et le mal, le juste et l’injuste).
L’accès à la corrida chez les mineurs a également des répercussions psychologiques avérées avec des effets traumatiques dus à la persistance d’images sanglantes gravées dans leur mémoire. En ce sens, le Comité des Droits de l’Enfant de l’ONU recommande à la France depuis 2016 d’interdire l’accès des mineurs aux spectacles de tauromachie sanglante.
Pourquoi ne pas demander l’interdiction totale de la corrida ?
L’échec de la proposition de loi d’Aymeric Caron a montré qu’il sera très difficile d’obtenir une interdiction totale de la corrida durant le quinquennat actuel. En attendant cette abolition qu’une majorité de Français souhaite, nous pouvons quand même faire avancer la cause à travers cette proposition de loi. En effet, si ce texte venait à être adopté, il induirait un renouvellement moindre du public et donc un affaiblissement significatif de la pratique de la corrida à moyen terme.
Une avancée majeure pour le débat public
Quelle que soit l’issue du vote, il est important d’avoir un débat démocratique sur ce sujet. Rappelons que la corrida est rejetée par 87% des Français. L’attente sociale est extrêmement forte sur cette question.
D’une part, ce débat va obliger les parlementaires à se positionner sur cette question. C’est une opportunité d’obtenir une meilleure vision des soutiens et des opposants potentiels à la corrida dans l’hémicycle.
D’autre part, le débat va permettre de casser un tabou politique très ancré. En effet, de nombreux parlementaires ont une vision biaisée et très exagérée de l’attachement local à la corrida (alors que les sondages montrent que même dans les départements dits taurins, une grande majorité souhaite l’abolition). L’idée de toucher à ce qui est perçu comme un élément constitutif de l’identité de ces régions dissuade beaucoup d’élus de prendre position ou de soutenir l’ouverture d’un débat sur ce sujet.
Il nous faudra maintenir l’intérêt politique suite à l’examen de la proposition de loi afin d’obtenir une abolition de cette pratique dans les prochaines années.
Ce débat dans l’hémicycle signe une première étape politique dans la légitimation de l’interdiction de la corrida. C’est avant tout sur une question d’éthique et de protection de l’enfance que les parlementaires vont devoir statuer. Rendez-vous le 14 novembre au Sénat !
Plus de 120 élus se sont mobilisés sur cette proposition de loi en signant une tribune publiée dans Midi Libre. Vous pouvez vous aussi apporter votre soutien à ce combat crucial en signant la pétition des ONG, qui a déjà atteint plus de 42 000 signatures!